Honoré de Balzac au crayon litho. Une illustration du Charivari...
Aurais-je été le dernier à ne pas l’avoir lu que je l’aurais
avoué, à défaut de m’en vanter, sans complexe. Même si mon collègue Manu,
curieux de mes agitations typographiques au lycée, a pu s’étonner – le taquin –
de ce que les Illusions perdues ne
figuraient pas dans mes lectures, je lui sais gré de m’avoir rencardé sur ce
joli morceau de la Comédie humaine.
Je connaissais l’expérience typographique de Balzac et
quelques unes de ses associations, mais mes souvenirs littéraires remontaient
au lycée où l’on avait dû m’imposer quelque Colonel Chabert ou autre. J’ai lu
un peu plus de Zola, Flaubert (mais pas trop) et des bouts de Hugo – plus près
de Balzac dans l’éloge que ce dernier lui tient en adresse des Illusions perdues.
Mais je connaissais assez mal le premier tiers du XIXe, plus
familier des réalistes, pères de la Modernité. Balzac n’est pourtant pas en
reste de ce côté.
Bref, je suis tellement fier de posséder enfin cette
lecture qu’il me faut la partager et vous y encourager. Et puis, allez, il y en
a bien un ou deux qui l’ont pas lu, hein ? Alors, il le faut ! Les
Illusions perdues, YA TOUT LÀ D’DANS ! Je vais y
revenir…
Comme ça, Balzac était imprimeur ?
Étudiant,
on me l’avait présenté comme clerc de notaire, ce qui expliquait certaines
dispositions aux états des lieux et à la description. Ce premier boulot, comme
l’autre, n’a pas été une franche réussite. L’aventure typographique n’a occupé
Balzac que de 1826 à 1828 avant qu’il ne dépose les armes avec le bilan – de ses
parts, du moins. Comme imprimeur, il s’est associé à Barbier. Ces deux là tenaient boutique rue des Marais (aujourd’hui,
rue Visconti) à Paris. Balzac était tourangeau, une patrie qui vit naître de grands imprimeurs
de Plantin à Mame. On trouve un troisième larron à la raison de la Fonderie typographique Laurent, Balzac et
Barbier. De cette autre association demeure un spécimen présentant le
produit de l’activité de fonte de caractères, vignettes (et stéréotypes). Ce
rare ouvrage a été réédité en 1992 aux éditions des Cendres. Le nom de Laurent est une autre occurrence dans
le domaine ! Il est en effet plus connu encore pour s’être associé à Alexandre Deberny – qui d’ailleurs
récupérera les équipements de la courte entreprise balzacienne, l’auteur étant
débiteur de sa maman, Laure de Berny. Ainsi, on connait le matériel de Laurent
& Deberny comme une autre association, contractée ensuite entre Deberny et Peignot. Celle-ci demeurera la plus
grande fonderie française depuis cette époque jusqu’au crépuscule de l’ère
typographique.
L’ambition de Balzac, donc, de développer imprimerie,
fonderie et maison d’édition « all-in-one » ne fit pas long feu et il
quitta bien vite une aventure prolongée par d’autres. Et pis, c’est pas plus
mal, il se remit de plus bel à écrire.
Tout ça imprègne les Illusions perdues. Le métier,
bien-sûr, qui fait le décor du premier livre. Mais encore la vie même de
Balzac. Comment, par exemple, ne pas voir dans la planque de David à la fin du
roman une image de cette même contrainte par corps à laquelle l’écrivain endetté
tenta de se soustraire en se cachant à l’issue de sa malheureuse entreprise ?
Mais avant de découvrir David et Lucien, les deux poètes, c’est le vieux Séchard
qui inaugure l’épisode. C’est dans son imprimerie que se tient l’exposition. Le
vieil ours est prétexte à une belle définition des rôles principaux dans l’atelier.
L’ours, entre le prote et le singe, de leurs relations dans ce fameux extrait :
« Ce Séchard était un ancien
compagnon pressier, que dans leur argot typographique les ouvriers chargés d'assembler
les lettres appellent un Ours. Le mouvement de va−et−vient, qui ressemble assez
à celui d'un ours en cage, par lequel les pressiers se portent de l'encrier à
la presse et de la presse à 'encrier, leur a sans doute valu ce sobriquet. En
revanche, les Ours ont nommé les compositeurs des Singes, à cause du continuel exercice
qu'ils font pour attraper les lettres dans les cent cinquante deux petites
cases où elles sont contenues. A la désastreuse époque de 1793, Séchard, âgé
d'environ cinquante ans, se trouva marié. Son âge et son mariage le firent
échapper à la grande réquisition qui emmena presque tous les ouvriers aux
armées. Le vieux pressier resta seul dans l'imprimerie dont le maître,
autrement dit le Naïf, venait de mourir en laissant une veuve sans enfants.
L'établissement parut menacé d'une destruction immédiate : l'Ours solitaire
était incapable de se transformer en Singe ; car, en sa qualité d'imprimeur, il
ne sut jamais ni lire ni écrire. Sans avoir égard à ses incapacités, un
Représentant du Peuple, pressé de répandre les beaux décrets de la Convention,
investit le pressier du brevet de maître imprimeur, et mit sa typographie en
réquisition. Après avoir accepté ce périlleux brevet, le citoyen Séchard
indemnisa la veuve de son maître en lui apportant les économies de sa femme,
avec lesquelles il paya le matériel de l'imprimerie à moitié de la valeur (…)
Par
la description des lieux, Balzac rend compte aussi de certaines évolutions en
ce XIXe siècle où tout se transforme après 400 ans d’immobilisme
technique depuis les premiers instants à Mayence. Ces progrès cristallisent d’abord
autour des presses du vieux Séchard. Ces dernières, encore en bois, sont à l’époque
concurrencées par la Stanhope et autre Colombienne en métal rapidement imitées
par les constructeurs continentaux. David Séchard, forcé d’hériter du fonds de
son père, déplore cet résistance réactionnaire chez le vieil imprimeur. Le
fils, formé à Paris avant de revenir à Angoulême, est au fait des tendances et
évolutions incarnées par les Didot, ses maîtres d’apprentissage. Cet autre
moment, autour du constat d’obsolescence des polices de la petite officine de
province est à mon goût, le plus savoureux :
« − Ha ! ha ! mon garçon, la
province est la province, et Paris est Paris. Si un homme de l'Houmeau t'arrive
pour faire faire son billet de mariage, et que tu le lui imprimes sans un Amour
avec des guirlandes, il ne se croira point marié, et te le rapportera s'il n'y
voit qu'un M, comme chez tes messieurs
Didot, qui sont la gloire de la typographie, mais dont les inventions ne seront
pas adoptées avant cent ans dans les provinces. Et voilà. »
J’en
passe car ce décor – cet acteur – du premier des trois livres des Illusions perdues
n’est pas le seul endroit qui peut – et doit – nous intéresser. Avant que le
troisième et dernier chapitre ne revienne sur le projet de David pour un
nouveau mode de fabrication du papier, ce sont à la fois le livre et la presse
qui animent la seconde partie dont Lucien Chardon, monté à Paris, est le héros.
Les
charges de Balzac vis-à-vis de la presse comme son regard acerbe sur les
milieux de l’édition se répandent allégrement dans le 2nd livre. On
y passe tour à tour les portes des journaux, des imprimeurs et des libraires.
La valeur documentaire de la Comédie humaine fait son office rendant toute la
dureté, la sécheresse de ces milieux, la précarité des succès comme l’infortune
qui scandent déjà le titre du volet suivant : Splendeurs et misère…
Car
enfin, immédiatement après avoir consommé les Illusions perdues, on se jette
sur la suite du feuilleton : Splendeurs
et misères des courtisanes où l’on retrouve les personnages qui peuplaient
déjà le Père Goriot. Sans spoiler la
fin de Illusions perdues, qui n’est qu’un habile teaser, vous ne résisterez pas
à l’appel du diable dans son personnage de prêtre espagnol. Rassurez-vous, l’imprimerie
n’aura plus à en souffrir !
Je
vous laisse, j’ai rencard à la pension Vauquer…
Merci pour cet article éclairant !
RépondreSupprimerBon séjour dans cette pension "pour les deux sexes et autre (s ?)"
Inutile de dire que ce dernier mot me ravie et j'attend quelques explications
À très bientôt
dÔm
C'est troublant en effet. Cherche pas, si c'est louche, ya Vautrin derrière...
SupprimerBise, à vendredi.