C’est pourtant bien la rue des imprimeurs – à l’époque,
du moins. Mais l’entrée de chez Plantin donne plus haut, sur Vrijdagmarkt. Ce
n’est pas encore en cela que je statue sur la mauvaise adresse. Si la marque de
mon petit livre* était bien la bonne, je spéculais franchement quant à
l’enseigne où il fut pressé. Retour sur mes petites Politiques depuis Anvers,
pour debrief…
* relire mes petites Politiques
Il est presque aussi beau que son père celui-là ! Que voulez-vous, comme disait Juste Lipse, E fructu arbor cognositur. Ce à quoi on pourrait ajouter qualis pater, talis filius. Ou l'inverse...
Il a beau me tendre un paquet certifié conforme – le
logotype de Christophe Plantin, PLN+T, marque ce colis de cahiers fraichement
imprimés mais non reliés à la vente –, ce petit commis n’aurait jamais pu me
vendre mon bouquin. Certes, le costume, quoique surclassé, évoque assez bien le
temps de Plantin. Le décor satisferait n’importe quel cinéaste genre Peter
Greenaway. On se trouve au comptoir de la boutique qui occupe la maison dite du
Compas de Fer donnant sur la Heilige Geeststraat, échappant par la droite la place
du Marché du Vendredi quand on fait face à l’entrée actuelle du complexe tel
que le laissèrent les derniers héritiers bâtisseurs. Seulement, la boutique ne
s’y installe qu’autour de 1700, sous Balthazar III Moretus – pour rappel, mon
livre est édité en 1615.
La dernière fois, j'avais glané des repro à droite, à gauche. Là, on a la galerie complète par Rubens pour l'essentiel. Christophe Plantin et son gendre Jean Moretus, les petits enfants du fondateur; Jean II et Balthasar. Puis Juste Lipse pour compléter l'aréopage.
Mais ce n’est pas là le plus décisif. Il m’aura fallu,
à l’issue de la visite de cet endroit fantastique me rendre en salle de lecture
et y entendre la sentence du responsable des lieux en lui présentant mes
Politiques de Lipse. Mon livre est définitivement de Leyde. En mon for
intérieur, je le savais. N’avais-je pas trouvé des marques en tous points
similaires en titre des éditions de Raphelengien (IIIe du nom).
Aussi avais-je prévenu ; tout ce que je racontais alors (*) pouvait être
complètement bidon. Heureusement, pas tant que ça… D’ailleurs, comme je me répandais
dans mon premier article sur une improbable chasse aux caractères, j’ai eu l’assurance,
grâce à mon échange avec le bibliothécaire, que le matos de Leyde est encore à
l’époque de la même fourniture que celui d’Anvers. En effet, les outils de
productions ne seront rapatriés à la maison mère qu’à l’aurée des années 1620
suite à la disparition de François II Raphelengien. Aussi, les formes pouvaient
être les mêmes. M’enfin, voilà, c’est tranché ; le bouquin n’avait pas vu
Anvers avant que je ne l’y emmène par le Thalys.
Et pis c’est pas grave, ce pèlerinage valait au-delà du
prétexte.
D’abord, c’est beau. L’endroit est magnifique. Tellement de charme et d’âme. L’écrin vaut la ballade avant même qu’on y découvre tous ses trésors. J’y ai appris beaucoup. J’avais pourtant tout bien lu Max Rooses, Maurits Sabbe ou encore Leon Voet – du moins, je le pensais … – mais c’est sur place et sur pièces qu’on découvre les faits premiers, mieux que dans les synthèses fussent-elles généreusement documentées.
Le guide de la visite est très bien foutu et je l’ai
complété en m’offrant un petit digest touristique qui soulève des entrées que
ne renseignent pas autant les essais de spécialité. Parmi elles, des dimensions
plus « people » sur la saga familiale comme la petite histoire du
management de l’entreprise plantinienne. On trouve naturellement dans le
parcours du musée les illustrations de ces moments plus importants qu’il n’y
parait sur le déploiement de l’aventure de Christophe Plantin et ses
successeurs Moretus. Par contre, et ça se comprend, la branche de Leyde n’y est
pas tant représentée. À ce propos, peut-être n’est-il pas indispensable de s’y
rendre pour ça ; seule une plaque commémorative marque la place de
l’officine des Raphelengien là-bas… Mais j’ai quand même appris combien ce
premier gendre était important et rayonnait notamment à l’endroit de ses
compétences dans les langues orientales – dont l’arabe – dont il se fit l’un
des plus éminents spécialistes et éditeurs.
Alors voilà quelques photos souvenir de mon crochet par
la Belgique, préalable à un séjour à Amsterdam, très belle ville au demeurant
mais moins riche dans cette partie.
Les plus vieilles presses encore sur pattes, au fond de
la grande « salle des machines ». L’une d’elles (en haut) a perdu sa
platine. Contrairement à leurs petites sœurs alignées sur l’extérieur, elles ne
sont plus attachée aux poutres. Les balles à encrer sont toute prêtes posées
sur les marbres. Peut-être est-ce sur l’une de ces presses qu’a été foulée
l’épreuve du sonnet de Plantin qu’on peut encore se procurer à la boutique,
composée dans les caractères du fonds originel. Une belle philosophie qui,
veut-on le croire, participe du portrait du grand humaniste.
En face des presses, les rangs dont la fourniture fait
pâlir le jeune collectionneur que je suis et qui galère à tomber 20 lignes sans
épuiser une pauvre casse d’Europe, pourtant bien remplie pour ce qu’il reste
aujourd’hui de ces matériels ! Dans ces grandes casses au plan
sensiblement analogue à celui de notre chère casse parisienne, des romains, des
italiques (ou « cursifs »), des vignettes, des musiques… On se
raconte plein d’histoires en découvrant ces types dans leur jus, encore bien
ordonnés – je sais, je sais, les gars ils ont un peu arrangé la présentation
pour l’expo…
Les italiques ci-dessus sont ceux de Granjon. Des frappes du Gros Parangon (= Ascendonica chez Plantin) sont exposées dans le parcours, je vous les montre un peu plus loin...
Le plus hallucinant, c’est sans doute la salle
précédente. Celle qui portait jadis l’enseigne du Compas d’Or (De Gulden Passer)
donnant sur des parcelles construites depuis, à l’extrémité sud-ouest de
l’ensemble. C’est, aujourd’hui, le magasin des polices ou salle des caractères.
Là, derrière les portes grillagées des bahuts sont rangées les polices non
distribuées, toutes enregistrées et étiquetées, pour certaines Garamont, d’autres
Van de Keere… Souvent j’ai remarqué la mention à Rosart, qui serait plutôt
Mathieu que Jean-François, graveur du temps de Fournier le Jeune et qui a
travaillé à Bruxelles et pour Enshedé (?). Rosart, d’après Leon Voet, a fondu
depuis les matrices des Moretus quelques équipements entre 1792 et 1799 puis en
1807. Je viens de découvrir, à mon retour, que Pierre-Simon Fournier a lui
aussi envoyé du matériel à Anvers entre 1775 et 1777. Je n’avais pas creusé ces
périodes mais voilà qui complète encore le Hall of Fame que j’évoquais !!!
Bref, c’est la caverne d’Ali Baba. Il y en a des tonnes dans leurs petits
paquets parfois faits de l’épreuvage de leur contenu.
On poursuit la visite pour découvrir ce que les plus
mordus doivent aussi venir chercher : les poinçons et matrices. Et surtout
ceux qu’on attend par-dessus tout. Ceux que Plantin acquit à la veuve de
Garamont via Le Bé. Si on ne sait plus vraiment ce qui ressort du grand maître
parisien lui-même, de Granjon ou – et c’est le plus fréquent – de Henry du
Tour, ça ne retire rien à l’émotion ressentie. Bon, il me reste à franchir les
portes du cabinet de l’Imprimerie Nationale pour concurrencer, sans doute,
cette première sensation. Mais ça le fait quand même !
Ci-dessus, les poinçons, matrices et types des Grosses Capitales extraordinaires données par Garamont en 1556. Le 'N' comme le 'D' sont présentés à l'envers. Les grecs associés, ci-après, n'ont été assortis que bien plus tard par Hendrik Van de Keere (Henry Du Tour) qui s'avère être le fondeur le plus important au fil de l'entreprise des Moretus.
Suit le Saint-Augustin de Garamont, poinçons et matrices. Celui-ci est à l'inventaire du stock de 1562. En revanche, l'inventaire connu suivant, en 1575, présente 4 déclinaisons différentes du Saint-Augustin : le médiane, grasse, petite, et texte. Ceux-ci vont approximativement -- pour ce que ça vaut au regard du principe de mesure sur 20 lignes non interlignées -- des corps 11,3 à 16,6. Le premier en dotation (grasse) équivaut à 13,4 points.
Des matrices non justifiées ou frappes. Celles-ci (en dessous), ont reçu le coup du poinçon mais ne sont pas parées ni ajustées au moule associé. Il s'agit du Grand Parangon italique de Granjon, le même dessin que les plombs présentés plus haut dans une casse.
Des types en syriaque ; un alphabet restituant un dérivé d'araméen, qu'on trouve en usage en dessous aux côtés de l'hébreu. Mais là, je me débine en termes de compétences. On doit ça à Van De Keere... :
Un peu de Musiques pour finir...
Au mur de cette salle se trouve des panneaux
particulièrement didactiques sur le process de production des caractères. En
écho à ces explications, le musée propose juste après des maquettes en résine à
manipuler des trois « moments » que sont le poinçon, la matrice puis
le type. Mais avant de les emboiter l’un dans l’autre successivement on passe
la fonderie que Balthasar fit installer autour des années 1620 (1622, je crois)
au sein de l’établissement. C’est bien à cette période et sous sa direction que
le complexe va prendre toute sa superbe tant en équipements qu’en décoration
intérieur.
Après tout ça, ben, y’a plein de livres. Il y a une
« petite » puis une « grande » bibliothèque. Ce sont des
ordres très relatifs… Encore une fois, ça en jette ! Mais quand on réalise
l’étendu des archives du musée, on comprend mieux. Tiens, imaginez :
638 manuscrits ;
25.000
livres d’avant 1800 ;
et
puis, revenons sur le hardware :
10
tonnes de lettres ;
5.000
poinçons ;
20.000
matrices ;
3.000
plaques de cuivres ;
13.000
blocs de bois ;
80.000
dessins et estampes.
Enfin,
160 mètres linéaires d’archives !!!
Ça
calme…
Le
clou, c’est évidemment la masterpiece qui clôt le parcours : la fameuse
bible polyglotte. Les plus blasés pourront se targuer de l’avoir vu à Lyon, au
musée. Ouais. Bon. C’est mieux sur place. Enfin, quand je dis sur place et bien
c’est même pas vrai ! Elle a été tirée à deux rues de là, sur Kammenstraat
à la Licorne d’Or, que Plantin rebaptise… le Compas d’Or. On a déjà parlé des
enseignes dans le blog ; et bien celles-ci pouvaient suivre leur
propriétaire d’un immeuble à l’autre. Après tout, les belges ne gardaient-ils
pas leur plaque minéralogique de voiture en voiture toute leur vie de
conducteur ?!? C’est donc dans cette première officine – mais il y en eut
d’autres à Anvers – que Plantin édita son chef-d’œuvre. C’est à deux pas de
l’actuel Musée de la Mode qui présentait d’ailleurs une superbe expo en
parcours croisé sur la direction artistique d’Hermes par Margiela. Top !
Là encore, je croyais que ce grand œuvre (la Biblia Regia, pas les boutons à
six trous de Margiela) avait été le baroude de Plantin. Certes, il y laissa des
plumes mais sa carrière se poursuivit encore, et dans sa dernière résidence du
Marché du Vendredi.
La collection complète, qui pouvait se parer, au goût (et à la charge) de son propriétaire de différents cuirs ou parchemins pèse... 48 kg !!! ça pèse 5 traductions en 4 langues. Le site du musée propose une version numérisée de ce grand œuvre.
Au tableau des records, on peut aussi épingler la Procession funéraire de Charles Quint qui assura à Plantin sa notoriété d'imprimeur récemment installé à Anvers. Pas tant pour sa typo pure (il n'y a que très peu de texte) et au delà même de sa grande qualité, mais pour la performance ; l'illustration déployée fait 12 mètres !!! Impossible à photographier de manière satisfaisante.
Bon,
je ne saurais dresser un inventaire exhaustif de tout ce que le musée donne à
voir. C’est magique ! Je lâche encore deux ou trois trucs en vrac et c’est sans
compter sur la visite, juste après, de la maison d’un proche de la deuxième
génération des Moretus : Rubens en son palais autrement italianisant que
la demeure des héritiers de Plantin. Une bien jolie ville Anvers…
Ces deux figurations de la cathédrale peuvent se substituer l'une l'autre dans le même ouvrage. Plantin segmente ses éditions en gammes. Le produit "d'entrée" est illustré au bois. Une édition plus "premium" présente une taille douce qui engage, naturellement, un process plus complexe en termes d'impression. D'autant que cette technique était sous-traitée par l'atelier.
En dessous, des bois dont certains ont été tiré à plusieurs milliers de reprises...
Quand je vous montrais les lettrines historiées qui peuplent les mémoires du Pape Grégoire de Froben (ici) ; et bien voilà à quoi pouvait ressembler la forme imprimante. Pour l'échelle, celle-ci ne doit pas excéder 8 cm (?) de côté.
ANTVERPIÆ
Ex Officina Christoh. Plantini
Regii Prototypographi.
M. D. LXXIII
Autrement – et c’est pas un pis aller !!! – se donne
une magnifique exposition à Amsterdam jusqu’au 11 juin au musée Vangogh. Ce
programme passe très bien après l’accrochage du musée des Arts Déco l’an passé
sur la caricature et l’affiche. Une
expo géniale depuis sa muséo jusqu’au parti pris ; raconter l’affiche (à
Paris, autour de 1900, pour les bornes) au-delà de sa seule « lecture »,
pas ses statuts, ses circuits… Le catalogue est super (dispo en français) avec
une petite repro de Vallotton en cadeau. Le dossier sur le site du musée (*) est
déjà bien riche. À voir absolument.
Quant aux expos pourtant fournies en ressources du
Stedelijk sur les Avant-gardes soviétiques notamment, et bien c’est moins
convainquant. C’est dommage quand on sait le paquet d’archives qu’ils ont. Le
détour vaut pour ce qu’on ne voit pas tous les quatre matins autant de pièces
sur ce seul segment. Mais quelle sécheresse par ailleurs…
Il y a tout de même quelques animateurs tel Thomas
Gravemaker – fermé quand j’y suis passé –, et puis l’association Grafisch Werkcentrum Amsterdam qui a l’air bien vivante. Voir leur petit film posté sur Vimeo sous Stepawayfromthecomputer qui colle bien
avec mes postures vis-à-vis de l’impression typo aujourd’hui.
à la librairie Minotaurus, trop peu nommée dans les bons plans sur la toile... Mais fermée le lundi. Dommage.
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