Toute première fois
Un beau jour de mai, alors qu’une
mission m’appelait Rue Madame dans un petit lycée portant le nom du père de la
classification promue par l’ATypI depuis 1962 et pour y évaluer quelques
candidats aspirant au baccalauréat technologique option design et arts
appliqués, je fus happé par les sirènes d’un salon qui se tenait au bout de la
rue, sur le parvis de Saint-Sulpice. C’était un meeting de libraires
spécialisés dans les vieilleries qui sont le sel des bibliophiles. Des allées
entières pleines de vieux bouquins précieux pour lesquels naissait en moi une
certaine tendresse encore ingénue mais déjà enivrante. Mes premiers émois avec
le livre vieux étaient assez récents. Outre les pages vues dans ces autres
livres qui les racontent ou encore de belles expositions démembrant parfois
d’ancestraux cahiers, j’avais poussé la porte de quelques boutiques ici et là
au cours de mes dernières promenades pour les toucher de mes mains (les vieux
livres). Notamment la respectable maison Jammes à Saint-Germain-des-Prés – sans
doute le quartier le plus indiqué en saison régulière – et d’y découvrir les
Métamorphoses d’Ovide en trois volumes par De Colines autour de 1525. C’était
beau1. Tenir cette belle chose permet de comprendre un peu mieux
encore les techniques, autant que de voir figer du plomb dans une matrice.
C’est émouvant. Aussi, j’avais dans l’idée d’en acquérir un quand l’occasion se
présenterait pour mieux observer le papier foulé par la frappe typographique et
enrichir ma collection de trésors qui, mieux que les diapos peuvent
sensibiliser mes étudiants. J’en eu donc l’occasion. Non pas qu’elle était
exceptionnelle – il est assez facile de s’offrir de très belles choses en
succombant au premier appel dans les rues de Saint-Germain-des-Prés – mais le
petit objet qui devait être mon premier était à un prix suffisamment
raisonnable pour que je puisse m’en porter acquéreur sans trop entamer le
budget du foyer.
Ayant abandonné avec leur bénédiction
mes collègues, j’errais dans les allées du salon sur ma pause déjeuner. Je
rêvais d’un livre du XVIè siècle. J’avoue qu’en grand débutant
devant des dizaines de volumes présentés parfois en vrac chez les exposants, je
me concentrais sur les dos les plus sobres, les reliures en parchemin réputées
les plus anciennes – quand souvent d’ailleurs les livres ont été reliés de cuir
des dizaines d’années après ! Je regardais les plus petits, à hauteur de
ma bourse. Je tirai finalement celui-ci. Ce n’est pas seulement que la date
était en chiffres arabes – ce qui est plus évident pour un grand paresseux que
je suis – mais la mention « Plantiniana »
provoqua quelque montée d’adrénaline de celle du consommateur compulsif qui
sent poindre la moiteur disqualifiante dans la perspective de négocier. Ce que
je ne fis pas. Etant aussi doué en latin qu’en grec, c'est-à-dire assez nul,
l’indice me parlait tout de même et après quelques détours de
celui-qui-va-réfléchir pour se distancier et regagner en dignité devant le
vendeur, je l’achetai.
J’étais l’heureux propriétaire d’un
petit in16 de chez Plantin de 1615. Le titre m’importait peu. D’ailleurs, je ne
devais même pas le lire...